Elisabeth Borne : «J’attends des engagements concrets sur les revalorisations»

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Alors que les syndicats doivent se rencontrer à nouveau le 18 novembre, Elisabeth Borne revient en exclusivité pour La Revue des Comptoirs sur le titanesque chantier engagé par la profession. Attractivité, salaires, instrumentalisation politique et place des femmes, la ministre du Travail n’a esquivé aucun sujet et revient sur les propositions faites par l’ensemble des partenaires sociaux dans nos journaux.

Quelles ont été vos impressions lors de la réunion du 17 septembre ?

Cette réunion a été constructive. Les syndicats comme les organisations patronales sont conscients du problème d’attractivité qui touche la filière et j’ai noté une vraie volonté d’avancer rapidement et efficacement.

Pourquoi avez-vous décidé de prendre en main ce dossier des HCR ?

L’hôtellerie-restauration est un secteur essentiel de notre économie. La crise a été particulièrement dure pour celles et ceux qui le font vivre au quotidien. Nous sommes restés à leurs côtés tout au long, que ce soit via l’activité partielle pour protéger les salariés ou via le fonds de solidarité, pour ne citer que ces deux dispositifs, afin qu’ils ne mettent pas la clé sous la porte. Et cela a porté ses fruits ! Maintenant que l’économie repart, il faut que les entreprises du secteur en profitent pleinement. Or, elles font face à d’importantes difficultés de recrutement. L’Etat prend sa part : nous avons mobilisé Pôle emploi pour aller chercher les demandeurs d’emploi motivés pour travailler dans l’hôtellerie-restauration et leur avons donné les formations nécessaires. Plus de 200 000 offres ont été pourvues dans le secteur par Pôle emploi, depuis le début de l’année. Mais chacun doit prendre ses responsabilités : le manque d’attractivité de ces métiers ne date pas d’hier. Il s’est renforcé avec la crise. J’ai rencontré différents travailleurs du secteurs ces derniers mois : tous me disent qu’ils ont redécouvert qu’ils avaient une famille pendant la crise et qu’ils n’accepteront plus de travailler tous les soirs et les week-end pour gagner le SMIC. Il est donc temps de remédier à ce problème d’attractivité et le secteur doit y contribuer.

Plusieurs syndicats ont rapporté que vous aviez demandé au patronat de “faire un geste à la hauteur du soutien accordé par l’Etat durant la période Covid”. Est-ce vrai ? Qu’entendez-vous par là ?

L’Etat a en effet fourni un effort massif pour soutenir le secteur pendant la période de crise. Pour autant, il ne s’agit pas de mettre sur le même plan ces aides et les revalorisations de grille salariale que le secteur peut mettre en place, car ce sont là deux enjeux différents. La revalorisation des grilles salariales dans le HCR doit permettre d’améliorer l’attractivité des métiers, d’autant plus dans un contexte de reprise forte de l’activité, qui peut être marqué par des tensions de recrutement. C’est essentiel de pouvoir y parvenir pour attirer des profils motivés et qualifiés.

Qu’attendez-vous concrètement des syndicats pour la réunion du 18 novembre ?

J’attends de cette réunion un point d’étape avec les partenaires sociaux sur les discussions en cours et des engagements concrets sur les revalorisations.


237.000 salariés de moins : à votre avis, à quoi est due la fuite des salariés du secteur ? La Covid est-elle réellement le seul élément déclencheur ?

A fin juin 2021, on comptait 10 000 emplois de moins dans le secteur du HCR par rapport à son niveau d’avant-crise. Je ne parlerais donc pas de fuite des salariés. En revanche, il est vrai que des professionnels qualifiés ont quitté le secteur pendant la crise sanitaire et que leur absence peut être difficile à remplacer à court-terme. Ce n’est d’ailleurs pas que propre à ce secteur. La crise a été un moment où beaucoup de personnes ont repensé leur projet professionnel et fait des choix de reconversion. Pour le HCR, cela peut venir de l’exigence du métier, des horaires difficilement compatibles avec les aspirations plus familiales ou personnelles ou encore du niveau des rémunérations.

La Revue des Comptoirs s’est basée sur les chiffres de l’Insee pour faire le constat suivant : les salariés du secteur HCR sont les moins bien payés en moyenne en France, tout échelon confondu, et depuis plus de 10 ans. Comment réagissez-vous à ce constat ? Comment l’expliqueriez-vous ?

C’est vrai, les salariés du HCR sont moins payés que la moyenne. Le salaire moyen en équivalent temps plein était de 1820 € par mois dans le secteur, contre 2460 € en moyenne dans le reste des secteurs. Il y a plusieurs explications à cela, comme par exemple le fait que le secteur emploie de nombreux jeunes en parallèle de leurs études ou pour faire la saison, qui sont moins expérimentés et donc payés entre 1 et 1,2 SMIC. On estime qu’environ un tiers des salariés de l’hôtellerie-restauration sont dans ce cas.

Par ailleurs, il n’y a pas eu de négociations sur les salaires depuis 2018, ce que les organisations salariés et professionnelles devraient réparer très prochainement, et ce que j’appelle évidemment de mes voeux.

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Voici plusieurs annonces faites ce mois-ci par les huit syndicats du secteur : augmentation des salaires jusqu’à 10 %, limitation, et rétribution de la coupure, sanctuarisation d’un weekend par mois, établissement d’un treizième mois, encadrement du travail au gris, des abus et mauvais traitements. Comment les accueillez-vous, et les jugez-vous nécessaires et raisonnables ?

Ces propositions vont le bon sens. Nous attendons maintenant qu’elles soient formalisées et qu’elles aient fait l’objet d’échanges entre toutes les parties prenantes.

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Des syndicats ont mis en lumière un “masculinisme ambiant” nuisant à l’évolution du secteur. Quel est votre regard sur la question ?

Les questions de la place des femmes dans le monde du travail et de l’égalité professionnelle restent des sujets majeurs dans tous les secteurs de notre économie. C’est un de mes combats prioritaires au ministère du Travail. C’est pour cela que nous avons instauré l’Index de l’égalité professionnelle pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Mais que l’on compte 5 ou 1 000 salariés, la lutte contre les discriminations et pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes relève avant tout de la volonté des dirigeants. C’est pourquoi j’encourage vivement tous les chefs d’entreprise à en faire des priorités. La parité est une force et c’est l’intérêt des entreprises d’avoir des équipes qui reflètent mieux la diversité de la société en général.

Plusieurs restaurateurs et syndicalistes, ont réagi à votre prise en main du dossier de façon mitigée, y voyant une manœuvre politicienne à l’approche des présidentielles, plutôt qu’une réelle volonté de les accompagner. Que leur répondez-vous ?

Pendant la crise, les entreprises du HCR ont bénéficié de près de 30 milliards d’euros de soutien de l’Etat. Ce soutien était nécessaire. Personne ne peut donc douter de notre réelle volonté d’accompagner le secteur et ses salariés. Par ailleurs, le HCR n’est pas la seule branche professionnelle avec laquelle nous travaillons. Nous travaillons depuis plus d’un an avec les branches des travailleurs de la deuxième ligne pour qu’elles revalorisent les conditions de travail des salariés. Nous avons également reçu une quarantaine de branches qui, comme le HCR, ont des minimas conventionnels inférieurs au SMIC pour leur demander d’entamer des négociations. Je les réunirai toutes d’ici à la fin de l’année pour faire le point sur la situation.

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