Loyers en temps de crise, mode d’emploi

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La loi a évolué concernant la question houleuse des loyers. Désormais aucune sanction ne peut être appliquée en cas d’impayés du loyer commercial. De quel type de sanction parlons-nous ? Décryptage avec Baptiste Robelin, avocat associé du cabinet Novlaw.

Restaurant fermé
Restaurant fermé. Image d'illustration.

Lorsqu’il ne paye pas son loyer, le locataire d’un bail commercial encourt plusieurs sanctions. Il peut se voir infliger des pénalités de retard. Surtout, il risque de se voir expulser par son bailleur, notamment si le bail renferme une « clause résolutoire ». C’est la sanction la plus redoutée par les commerçants et les restaurateurs, car elle signifie la perte du fonds de commerce. Pour tenter de protéger les commerces fermés, le Gouvernement avait mis en place un dispositif spécifique pendant le premier confinement (ordonnance du 25 mars 2020) prévoyant que, si le locataire restait bien redevable des loyers et charges dus pendant la période de fermeture, le bailleur ne pouvait en revanche pas appliquer de sanction en cas d’impayés. Aucune mesure similaire n’avait été prise pour le reconfinement déclaré le 29 octobre. C’est maintenant chose faite avec l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020. Dans les grandes lignes, le dispositif est le même qu’auparavant : le bailleur ne peut solliciter aucune sanction (expulsion, pénalités, etc.) en cas d’impayés de son locataire.

Sur quelle période ?

À ce stade, la période de protection juridique court du 17 octobre 2020 (application rétroactive de la loi) jusqu’à deux mois après la fin des mesures de police administrative (c’est-à-dire deux mois après la réouverture des commerces). Si la plupart des commerçants pourrait rouvrir le 1er décembre 2020, on entend dire que les restaurateurs devraient rester fermés jusqu’à mi-janvier 2021. La mesure resterait donc en vigueur pour eux jusqu’à deux mois après la réouverture.

Quels seraient les critères d’éligibilité ?

La loi du 14 novembre 2020 ne précise pas quelles sont les entreprises éligibles à la période de protection s’agissant des loyers. Nous attendons encore le décret d’application. Toutefois, il y a fort à parier que le Gouvernement reprend les critères en vigueur lors du premier confinement. Les entreprises visées par ce dispositif étaient notamment celles éligibles au fonds de solidarité ; à l’époque les entreprises réalisant moins d’1 million d’euros de chiffre d’affaires, moins de 60 000 euros de bénéfices imposables et ayant un effectif inférieur ou égal à 10 salariés.

L’annonce va plus loin puisque désormais le bailleur ne peut pas non plus initier de « mesures conservatoires ». Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

Cette précision est bien venue. L’ordonnance du 25 mars 2020 applicable lors du premier confinement ne mentionnait pas l’interdiction pour le bailleur d’initier des mesures conservatoires. Et, dans la mesure où les loyers restaient exigibles, les bailleurs étaient libres d’exécuter des saisies sur les comptes bancaires de leurs locataires. Ceci soulevait une réelle difficulté, d’autant plus qu’aucune autorisation judiciaire n’est nécessaire pour pratiquer de telle mesure pour un bail. Aujourd’hui le texte est clair : aucune mesure conservatoire ne peut être mise en œuvre par les bailleurs, offrant une protection renforcée pour les locataires. De la même manière, notez que le dispositif de protection s’applique également aux sûretés réelles et personnelles. Ainsi, le bailleur ne peut pas non plus appeler les cautions pendant cette période de protection.

En sorte il s’agit d’une trêve hivernale. Mais ne pensez-vous pas que c’est une bombe à retardement pour les restaurateurs ?

Non. Pour nous ce dispositif a un réel intérêt et a su montrer son efficacité pendant le premier confinement. Le problème se posera surtout pour les commerçants qui avaient déjà accumulé des dettes locatives avant la crise sanitaire ou bien entre les deux confinements : pour ceux-là, la période de protection juridique n’aura pas d’effet. C’est surtout là où l’on peut craindre une «bombe à retardement » en 2021. Pour le moment, la plupart des restaurateurs tiennent de manière artificielle avec des aides d’Etat. Mais la récurrence des difficultés (crises sociales, gillet jaune, confinement, reconfinement etc.) laisse craindre une accumulation de dettes de toute nature (locatives, PGE, charges sociales etc.). Sans reprise d’activité majeure à la réouverture, beaucoup d’entreprises ne pourront pas tenir.

50 % de crédit d’impôt vont être alloués aux bailleurs consentant à ces exonérations sur une période de un mois (novembre il me semble). Cela vous paraît-il suffisant et suffisamment incitatif ?

Ces mesures fiscales incitatives ont le mérite d’exister, même si à notre sens elles ne sont pas suffisantes. Les bailleurs de leur côté sont souvent redevables de leurs propres échéances de crédit bancaire. Pour ceux qui ont absolument besoin de recouvrer leurs créances de loyer, peu importe le montant de l’exonération fiscale, il sera toujours difficile de les convaincre de consentir des abandons de loyer. Le Gouvernement le sait pertinemment. C’est la raison pour laquelle ce dispositif de protection a été mis en place, afin d’éviter les expulsions en chaîne quand les bailleurs multiplient les procédures judiciaires pour être payés.

Pour plus d’informations, vous pouvez contacter : www.novlaw.fr

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