Révolution végétale dans nos assiettes

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Alors que le Guide Michelin a pour la première fois décerné une étoile à un restaurant végan, les assiettes végétales sont de plus en plus nombreuses dans les menus. Les chefs s’engagent et parviennent à végétaliser leurs plats, sans pour autant renoncer au côté gourmand.

En janvier dernier, la cheffe girondine Claire Vallée décrochait la première étoile végane du Guide Michelin . Son restaurant ONA à Arès (33) fait rimer végétal avec haute gastronomie. Longtemps pensés comme de simples accompagnements d’un plat, les légumes volent aujourd’hui la vedette aux traditionnelles viandes et poissons. D’ailleurs, 43 % des Français disent avoir réduit leur consommation de viande rouge et 5 % l’avoir supprimée de leur régime alimentaire *. A contrario, les légumes et les fruits bénéficient d’une dynamique très favorable : 43 % des consommateurs affirment avoir accru leur consommation de fruits et 47 % celle de légumes * . En outre, selon le Crédoc, un Français sur cinq se considère « flexitarien » (26 %), ce qui signifie qu’ils sont principalement végétariens, mais n’excluent pas la consommation exceptionnelle de protéines animales. Face à ces tendances, les chefs doivent s’adapter et présenter des plats davantage centrés sur le végétal. « Cette tendance n’est pas nouvelle, cela fait une dizaine d’années qu’on l’observe, mais ces dernières années, elle s’est accélérée et beaucoup de chefs ont eu une prise de conscience, ils se tournent de plus en plus vers elle » , lance Éric Briffard, chef référent de l’Institut d’arts culinaires et de management hôtelier le Cordon bleu (Paris, 15). L’Institut propose des formations sur la gastronomie des végétaux, en cuisine et en pâtisserie. « Les chefs n’avaient pas forcément les codes pour proposer une cuisine végétale et gourmande, commente-t-il. Quand vous êtes dans vos cuisines avec un parcours classique, le végétal, c’est comme un autre monde, c’est aussi un terrain de jeu nouveau. »

Se réinventer

Alors que le chef Briffard était, de son propre aveu, autrefois incapable de penser un menu gourmet sans une pièce de viande ou de poisson, il prend aujourd’hui beaucoup de plaisir à imaginer des assiettes végétales : « Si on applique les techniques de la cuisson de la viande pour les légumes, on peut avoir un résultat exceptionnel. Par exemple avec un chou-fleur que l’on badigeonne d’huile d’olive et d’épices et que l’on fait rôtir au four en l’arrosant régulièrement, les sucs de cuisson vont être là, ainsi que la texture et le goût. »

Dans son restaurant en vente à emporter Ressources (Paris, 6), la cheffe Emmanuelle Riboud n’oppose pas cuisine végétarienne et cuisine conventionnelle. « Nous préparons des assiettes nourricières où la viande n’est plus au centre, indique-t-elle.

Ce sont des assiettes végétalisées, où la part de protéine animale ne représente pas plus de 10 à 15 %, soit environ 50 grammes. »

Les légumes et légumineuses ne sont donc pas relégués au second plan, au contraire, ils jouent le rôle principal. Pour y parvenir, la cheffe a avant tout décidé de sortir du schéma d’un restaurant traditionnel et de l’habituelle formule entrée-plat-dessert, en proposant des bentos japonais à emporter. « L’idée est que l’ensemble de la production soit davantage végétalisée, c’est meilleur pour la santé et c’est meilleur pour l’environnement, ajoute-t-elle. Quand on sait cuire les légumes en les saisissant ou en les faisant compoter, on obtient un résultat très gourmand. » La cheffe et son équipe travaillent donc sur la texture et le goût, peu importe la quantité de protéines animales présente dans le plat. L’important étant de ne pas sacrifier la gourmandise tout en offrant un repas rassasiant.

Depuis septembre 2020, le chef René Mathieu propose une cuisine 100% végétale dans son restaurant luxembourgeois La Distillerie (une étoile au Michelin).

« Quand on cuisine, on est fort en assaisonnement et en sauce, on sait faire griller les légumes pour leur donner du goût, l’important est aussi qu’il y ait de la mâche dans le plat, commente-t-elle. Par exemple, nos aubergines en lamelles rôties vont presque ressembler à du bacon. » Si elle a décidé de continuer à cuisiner avec parcimonie de la viande, ainsi que du poisson (une fois tous les 15 jours, des produits certifiés pêche durable), d’autres chefs ont choisi de renoncer totalement aux produits d’origine animale, comme René Mathieu. Dans son restaurant luxembourgeois La Distillerie (une étoile au Michelin ), situé à Bourglinster, près de la capitale du Grand-Duché, il propose depuis septembre dernier une cuisine 100 % végétale. « L’heure est venue de diminuer notre consommation de viande, pour la planète et pour l’humain », lance-t-il. Même s’il n’est pas végétarien, le chef voue une passion aux fruits, aux légumes et aux plantes sauvages. À tel point qu’il a décidé de les mettre au centre de l’assiette. Grâce à différentes techniques de cuisson en basse température, mais aussi de fumage ou encore de fermentation, il propose des assiettes colorées et très gourmandes. À l’instar de ses asperges blanches, rhubarbe rouge, quinoa soufflé, sirop acidulé et jus moelleux. « La cuisine végétale ne remplace pas une autre cuisine,

« La culture végétale est bien plus développée ailleurs, notamment en Asie et en Amérique du sud. » Luc Fontaine, directeur du pôle expertise culinaire et greenologue chez Bonduelle Food Service

il faut oublier certaines idées reçues, éviter les cuissons à l’eau qui font perdre le goût et les nutriments et se réinventer en permanence », ajoute le chef. Proposer une cuisine végétale s’accompagne en général d’un travail sur les saisons et sur les produits locaux. « Il faut toujours être en phase avec la saisonnalité, la nature est bien faite, prendre les produits au bon moment c’est très important, pour le goût et l’environnement », commente Éric Briffard. Même son de cloche du côté d’Emmanuelle Ri-boud et René Mathieu qui estiment qu’il n’est pas possible d’avoir des produits goûteux s’ils viennent de loin ou s’ils ne sont pas de saison.

Accompagner les chefs

« Le constat en restauration hors domicile, c’est que la culture culinaire française s’articule autour de la protéine animale, commente Luc Fontaine, directeur du pôle expertise culinaire et greenologue chez Bonduelle Food Service. Les chefs se retrouvent démunis, ils ne savent pas comment fournir une offre végétale, qui soit rassasiante, équilibrée, mais aussi rassurante et gourmande. » Pour accompagner les chefs, l’entreprise spécialisée dans la transformation des légumes a lancé en 2019 l’outil Greenlogie, sur « l’art et la manière de passer au végétal ». Plus de 500 chefs ont déjà été formés en présentiel et la plateforme compte quelque 7 000 inscriptions. « La culture végétale est bien plus développée ailleurs, notamment en Asie et en Amérique du Sud, nous nous inspirons de ces saveurs pour proposer des plats végétariens, précise Luc Fontaine. Les chefs sont très attentifs et intéressés. » De son côté, D’aucy Foodservice souhaite également accompagner les chefs dans leur transition vers le végétal. « Nous proposons des garnitures végétales avec différents degrés de préparation, qui peuvent s’adapter selon les envies et besoins des chefs, des mélanges de légumes, de légumineuses ou des plats plus préparés comme la moussaka végétarienne, où le boulgour apporte la protéine » , détaille Nathalie Douis, directrice marketing de D’aucy Foodservice. Pour accompagner les chefs, l’entreprise a publié également un livret de recettes végétariennes et formé ses conseillers culinaires à la cuisine végétale.

D’aucy Foodservice propose des plats préparés végétariens, à l’instar de la moussaka végétarienne.

Tendance de fond

Les chefs s’entendent pour dire qu’il ne s’agit pas d’une simple mode et que le végétal a toute sa place dans les menus des restaurants français. « Nous avons, par exemple, constaté que beaucoup de recettes paysannes ne contenaient pas de viande », souligne la cheffe Riboud. De son côté, René Mathieu estime avoir rajeuni sa clientèle. « Les plus jeunes sont intéressés par ce genre d’expérience, qui finalement est un retour aux sources, nos grands-parents consommaient moins de viande et de poisson », glisse-t-il. Une position partagée par Emmanuelle Riboud : « Nous pouvons revenir aux sources, l’origine du restaurant était des lieux de santé, la restauration peut se réapproprier le repas quotidien, notamment en proposant une alimentation bonne pour la santé. » Pour Éric Briffard du Cordon Bleu, il s’agit d’un courant salutaire pour la santé de tout le monde. « Avant, le beurre et la crème étaient synonymes de grande cuisine, mais les temps ont changé et on constate un rééquilibrage dans la cuisine, manger plus sain, moins de viande et plus de végétaux », pense-t-il. Enfin, au-delà de l’impact positif sur la santé et l’environnement, le chef René Mathieu a remarqué qu’une certaine sérénité régnait dans ses cuisines depuis que les produits d’origine animale en avaient été sortis. « Je n’aurais jamais pu imaginer que me concentrer sur le végétal pouvait me donner autant de bonheur, il n’y a plus le stress de la cuisson, nous n’avons plus besoin de frigo, l’ambiance est apaisée dans le restaurant, remarque-t-il. En plus, la créativité déborde, une idée en amène une autre et nous sommes tout le temps en recherche, c’est très stimulant. » 

NOTE* Observatoire de la consommation responsable, janvier 2021.

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